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Séminaire Moodle à Saint-Brieuc (2/2) : De l’écriture collaborative

Le 1er séminaire Moodle de l’académie de Rennes a permis non seulement de partager des usages, mais aussi de mener un exercice collectif de pratique réflexive. Voici par exemple la substance d’une conférence autour de l’écriture collaborative...

Préambule

L’écriture collaborative consiste pour les élèves à rédiger à plusieurs sur un éditeur en ligne, de façon synchrone ou asynchrone, en présentiel ou à distance.

On peut considérer comme François Bon, Milad Doueihi ou Catherine Bizot que le numérique est une nouvelle technologie de l’écrit, aussi essentielle que le fut l’imprimerie en son temps, en particulier par ses conséquences culturelles : la transformation de nos façons de lire, d’écrire, d’apprendre, de nous relier au monde … De ce point de vue, la possibilité de l’écriture collaborative est bel et bien un fait culturel majeur, une rupture dans nos pratiques et nos représentations. Toute notre culture en effet individualise l’écrit : valorisation voire sacralisation de l’auteur par la littérature, valorisation de la lecture solitaire et silencieuse (depuis Fragonard jusqu’aux ¼ d’heures institutionnels de lecture !). Notre Ecole elle-même fait de l’écriture une aventure individuelle, voire individualiste : on écrit presque toujours en solo ; on écrit presque toujours pour être noté, dans une logique d’évaluation, voire de performance et de concurrence ; les dispositifs collaboratifs du genre IDD ou TPE tendent à finir à la trappe au bout de quelques années. Ecrire à plusieurs, cela reste rare : cela va se développer grâce au numérique ; cela ouvre de nouveaux horizons ; cela suppose de nouvelles compétences à apprendre.

L’écriture collaborative : pour quoi faire ?

Les pistes d’utilisation sont variées, à tous les niveaux, dans bien des matières. Le dispositif favorise la créativité des enseignant.es ! En vrac, quelques pratiques testées en classe ou découvertes chez des collègues :
- Prise de notes collaboratives : pendant un cours, une conférence, une vidéo, une rencontre
- Synthèse d’un cours : rédaction collective des traces du cours en fin de séance ou au soir d’une séance
- Travail des formats de l’écriture scolaire : à compléter (d’exemples, de connecteurs logiques, d’étapes particulières de la démonstration), à réorganiser (dissertation-puzzle), à rédiger complètement ou partiellement…
• Contraction de texte
• Paragraphe argumentatif
• Introduction
• Conclusion
• Dissertation
• Commentaire
• Etude de document
• Synthèse de documents
• Essai, discussion
• Texte explicatif
• Compte rendu d’expériences
• …
- Exercices divers : par exemple de manipulation grammaticale, de correction orthographique, de traduction, d’application, d’identification de figures de style, de création rhétorique, d’enrichissement du style …
- Correction de devoirs : identification d’erreurs, amélioration d’extraits de copies …
- Préparation d’exposés : document collectif de collecte, sélection, structuration, mise en forme, réalisation d’un diaporama support
- Préparation de l’entretien EAF : présentation de l’œuvre, recherche de réponses à des questions possibles, puis mutualisation orale en ilôts
- Brainstorming : liste de mots associés à un thème ou utilisables pour un travail d’écriture, listes de références culturelles exploitables pour le sujet abordé, listes d’idées en vrac
- Etude de texte ou d’images : coconception des analyses directement sur le pad ou avec l’outil d’annotations d’Only Office. Avec éventuellement système de type World Café : chaque groupe prend en charge une partie du texte, puis roulement (le groupe de la partie 2 vient compléter le travail mené par le groupe de la partie 1, le groupe de la partie 3 vient compléter le travail mené par le groupe de la partie 2…), ce autant de fois que nécessaire
- Tableau / schéma / carte à compléter
- Ecriture interventionniste = par exemple copier-coller un texte littéraire et inviter les élèves à le transformer (en changer la fin, l’actualiser), à le réécrire (style, niveau de langue, syntaxe, versification…), à le réduire, à l’augmenter (portrait, description, monologue intérieur, dialogue, commentaires du narrateur …)
- Ecriture créative : récit, poème, dialogue, autoportrait de groupe …
- Réalisation d’un e-portfolio de groupe : journal de lecture partagé d’une œuvre, carnet de recherches, compte rendu de voyage ou de sortie, travail sur l’orientation …
- Réalisation d’un dictionnaire / lexique / répertoire de mots, disciplinaire, interdisciplinaire, imaginaire
- Outil de vie de classe : bilan de période, souhaits, propositions

L’écriture collaborative : pourquoi ?

Pourquoi dépasser le format scolaire de l’écriture, si traditionnellement solitaire ? L’expérience enseigne que l’écriture collaborative présente bien des intérêts.

• D’abord, par sa nature, ce dispositif stimule le plaisir d’écrire : le destinataire n’est plus seulement l’enseignant, devant lequel on a peur de se tromper ; le destinataire, ce sont d’abord les pairs, qu’’on a envie d’aider, avec lesquels il est en général plus simple voire plus agréable d’interagir. La dimension collaborative donne à l’écriture un destinataire plus authentique, moins « théorique » et « fonctionnel », un vrai destinataire, donc un véritable enjeu. La motivation et l’engagement de l’élève, s’en trouvent renforcés.

• L’écriture collaborative favorise le travail de l’écriture. Elle oblige à concevoir, négocier, mettre en œuvre des gestes d’écriture essentiels, que les élèves tendent souvent à négliger pour écrire un « brouillon » qu’ils vont recopier quasi tel quel « au propre », pour s’abandonner au « premier jet ». Ces gestes d’écriture sont variés : planification, révision, corrections, déplacements, suppressions, ajouts, réorganisation …. Dans ce work in progress, le contenu du texte s’enrichit peu à peu et la forme du texte s’améliore peu à peu, grâce au regard, aux échanges, aux apports des uns et des autres.

• L’écriture collaborative favorise une posture réflexive. Ceci grâce aux échanges et à la verbalisation (que cela passe par l’oral ou par le chat), grâce aux questionnements que je formule et tente de résoudre à plusieurs, aux conseils que je donne ou reçois, aux explications que je m’oblige à formuler ou demander à mes camarades, en particulier sur les procédures et sur les choix. Tout un travail essentiel se déploie pour développer la métacognition. Ce que l’on écrit ne vient plus complètement de soi et, par bonheur, ne va plus complètement de soi. Les interactions entre les élèves et les confrontations entre les écrits invitent chacun.e à prendre du recul par rapport à ses propres textes : à adopter une posture d’auteur, à donner de l’intention à ses choix, à les expliquer, à les transformer, à mesurer les effets de ces modifications, à endosser la responsabilité de ce qu’il écrit. Il s’agit désormais d’écrire en toute connaissance de cause et de conséquence.

• L’écriture collaborative favorise la maitrise de la langue. Progresse :
 la qualité de la syntaxe : si l’autre ne comprend pas grammaticalement ma phrase, il m’invite à la reformuler.
 la précision du vocabulaire : le souci du mot juste naît de la présence ou de l’assistance de mon interlocuteur.
 la correction de l’orthographe : ce qui se joue, c’est une image de soi, avec et devant les autres, mon texte doit être le plus soigné possible, je rectifie mes erreurs orthographiques ou celles de mes camarades, je partage avec eux justification et explicitation de la règle.

• L’outil qui permet de développer des compétences langagières peut même changer la représentation du texte, la relation à l’écrit : écrire dans la marge ou dans le corps du texte, qu’il soit celui d’un autre élève ou celui d’un écrivain, se glisser dans le texte de l’autre pour le transformer, l’enrichir ou l’améliorer, accepter que l’autre agisse sur mon propre texte pour le modifier, multiplier les interactions pour commenter le texte ainsi collectivement produit… : voilà que le texte cesse d’être perçu comme clos sur lui-même. Le texte se libère de son support, traditionnellement fermé (le livre, le cahier, la copie) , il devient un organisme vivant, ouvert, mobile, sans cesse à déplier et continuer.

• L’écriture collaborative peut enfin diffuser dans l’Ecole de précieuses valeurs de partage et de coopération. Elle développe par-delà le travail disciplinaire des compétences sociales essentielles comme le sens de l’écoute, l’empathie, le respect d’autrui, le débat, l’argumentation, le dialogue, en particulier en cas de « conflits sociocognitifs » souvent féconds… Le dispositif mobilise et valorise l’intelligence collective : il incite chacun, même les plus faibles, à donner aux autres le meilleur de lui-même, il le conduit à progresser par l’exemple d’autrui et le désir d’ajouter sa pierre à l’édifice du projet commun, il procure la fierté du travail collectivement accompli. Le dispositif fait la classe une communauté apprenante : une communauté de recherche, d’entraide, de lecture, de création, de réflexion, d’imaginaire …

L’écriture collaborative : quels défis ?

Mais l’écriture collaborative n’est pas magique. On peut même considérer qu’elle pose des difficultés particulières et supplémentaires : aux problèmes « intellectuels » que pose toute écriture scolaire (quels contenus ? quelles formes ?) s’ajoutent des difficultés sociales (je dois respecter les autres) et procédurales (je dois confronter mon approche et ma méthode à celles des autres).

D’où le défi pour les enseignant.es : il va s’agir de structurer efficacement les situations de collaboration en classe. Un travail essentiel d’ingénierie pédagogique est à mener, par exemple autour des questions suivantes :

Question de l’acculturation = Comment puis-je acculturer les élèves à l’écriture collaborative ? Cela suppose de commencer par des activités simples (sans grand enjeu de savoir) pour s’approprier l’outil et ses fonctionnalités, pour découvrir les plaisirs de l’intelligence collective.). Cela implique évidemment une pratique régulière. Cela incite à favoriser l’autonomie des élèves en les invitant à se créer eux-mêmes des pads pour leurs activités de groupes, y compris dans d’autres disciplines. Alors l’écriture collaborative devient une habitude et peut devenir féconde.

Question de la justification = Pourquoi le travail collaboratif me semble-t-il important pour cette activité ? en quoi les élèves vont-ils développer des savoirs / des savoir-faire / ou savoir être mieux qu’avec un travail individuel ? en quoi la tâche nécessite-t-elle que chacun ait vraiment besoin de l’autre pour avancer ?

Question de l’outil = Lequel choisir : Toutapad ? OnlyOffice ? wiki ? Où créer l’espace d’écriture : Moodle ? Espace Toutatice ? collection d’équipe sur Pearltrees ? outil de la Digitale ?...

Question des groupes = comment les constituer ? = 1 tâche identique pour la classe entière ? des tâches identiques pour des groupes différents ? des tâches différentes pour des groupes divers ? des groupes créés par les élèves ou par l’enseignant.e ? des groupes homogènes ou hétérogènes ? avec distribution des rôles ou pas (concepteur, chercheur, rédacteur, correcteur, maitre du temps, animateur…) ? des groupes de quelle taille ? faut-il garder toujours les mêmes groupes ou changer régulièrement d’une activité à l’autre quelles sont la taille et la composition adaptées pour que chaque élève se sente suffisamment à l’aise pour oser s’exprimer devant les autres ? Le travail collaboratif est aussi affaire de connaissance fine de ses él-ves, de psychologie même …

Question des consignes = comment les expliciter au mieux pour trouver le juste équilibre entre la contrainte et l’autonomie ? = quel produit final attendu ? quelles procédures et étapes pour y arriver ? quel temps disponible ? quels critères d’évaluation de l’engagement de chacun dans le groupe ? quels critères d’évaluation du produit final ? …

Question de l’accompagnement par l’enseignant.e : interventions sur le chat ? annotations ? passage physique de groupe en groupe dans une dynamique de côte à côte ? projection sur le TBI du document collaboratif en cours d’élaboration ? modération ? encouragement ? validation ? correction ? …

Question de la mutualisation : Quel mode de partage avec l’enseignant.e mais aussi les autres élèves ? comment les différents groupes vont-ils s’approprier le travail des autres groupes ? Le temps de mutualisation peut prendre des formes variées : présentation orale devant la classe du produit fini et/ou de l’historique dynamique du pad avec explicitation des choix opérés ; débat collectif ; lecture-commentaire-annotation des productions des autres groupes ; copié-collé dans son travail de groupe d’éléments intéressants trouvés dans les productions des autres groupes …

Question de la valorisation du travail des groupes  : partage sur Moodle des productions les plus réussies ? publication ouverte sur un le site de l’établissement ou un blog de classe ?

En guise de conclusion :

L’écriture collaborative est une chance pédagogique offerte par le numérique. Elle permet, par l’exercice de l’intelligence collective, de travailler et valoriser les compétences de chaque apprenant. A condition de s’en donner les moyens : « écrire avec » pour apprendre suppose aussi d’apprendre à « écrire avec ».

Soulignons pour finir combien il s’agit d’une aventure non seulement pédagogiquement, mais culturellement passionnante. En particulier pour interroger et redéfinir les champs de l’auctorialité et ouvrir de nouveaux horizons.

• La figure de l’auteur s’est construite peu à peu comme l’a raconté par exemple l’historien Alain Viala : elle se fonde sur l’avènement de l’originalité comme critère esthétique de jugement, elle se développe en particulier au 17ème siècle avec Molière comme 1ère figure emblématique, elle est consacrée par la législation sur le droit d’auteur de Beaumarchais, elle va se déployer dans la sacralisation de la figure de l’artiste génie au 19ème siècle

• La figure de l’auteur dans sa singularité et sa sacralité tend à s’effacer : bien des avant-gardes esthétiques au 20ème siècle sont venus la contester, jusqu’à Bansky aujourd’hui ; pour les jeunes générations, dans la culture numérique, la transgression du droit d’auteur est devenue une habitude voire un jeu ; beaucoup d’œuvres numériques contemporaines, en particulier transmédiatiques, sont d’ailleurs des œuvres collectives où collaborent écrivains, photographes, vidéastes, informaticiens, musiciens …

L’horizon, celui qu’ouvre aussi l’écriture collaborative à l’Ecole, c’est celui de la culture participative, de la démarche wikipédienne de construction des savoirs, de la culture perçue, expérimentée, vécue comme un commun, auquel chacun dès l’Ecole est invité à se sentir capable et digne de contribuer.

Jean-Michel Le Baut
Professeur de lettres au lycée de l’Iroise à Brest
Formateur DANE de l’académie de Rennes

Séminaire Moodle à Saint-Brieuc (1/2) : De la guidance

Voir en ligne : Supports de la conférence

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