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Hélène Mulot et Marion Carbillet : L’Ecole du partage à la Coopérative Pédagogique Numérique 29

Hélène Mulot et Marion Carbillet ont écrit l’ouvrage A l’’école du partage : Les communs dans l’enseignement. A l’automne 2019, la Coopérative Pédagogique Numérique du Finistère et le réseau Prof@brest les ont invitées pour un temps d’échanges. Voici quelques échos de cette rencontre.


Votre ouvrage porte sur « les communs dans l’enseignement » : que signifie pour vous cette notion de « communs » en général ?

Cela vient de la lecture de Libres Savoirs en 2012 avec la prise en compte de la question centrale de la gouvernance (communs plus que biens communs). Nous ne savions pas bien que faire de la notion, comment la prendre en compte dans notre pratique pédagogique mais nous sentions qu’elle était riche et inspirante.


Que recouvre-t-elle dans le domaine éducatif ?

Il s’agit de passer de la culture du partage à la culture de la participation : de former les jeunes et les adolescents à participer à la vie culturelle et la vie politique – ce qui est un enjeu citoyen de première importance. C’est-à-dire de former les jeunes qui ne viennent pas naturellement dans certains lieux, de donner les moyens à tous de participer aux dispositifs voire d’en créer un peu eux-mêmes.

Il y a dans la société des lieux de participation (fablabs, médiathèques tiers lieux, associations...), mais ces lieux concernent souvent un certain type de public, averti. Pour qu’ils fonctionnent de façon réellement inclusive, avec tous types de publics, il faut sans doute que tous les individus soient en amont formés à la participation. Or où est-ce que cela peut se faire hormis à l’École ?

Le but est de faire de l’élève un citoyen du web, actif, mais aussi responsable et critique : quelles réflexions vous semble-t-il important de développer chez les élèves à ce sujet ?

Il faut travailler sur la prise de recul - l’essentiel est d’accepter les savoirs non acquis dans la sphère scolaire. La prise de recul sur les savoirs non formels se fait par :
- l’accueil de la parole sur ces savoirs, voire la provocation de cette parole (ex mise en place de clubs pour parler des pratiques numériques, ou d’un réseau d’entraide entre élèves sur le sujet)
- la structuration de cette parole par l’interrogation ou de l’enseignant ou du groupe (cela permet de nommer des outils ou des procédures, de prendre conscience de ce que l’on fait ainsi que d’accéder aux concepts ex : qu’est-ce qu’un moteur de recherche ?)
- la mise en lien de ces savoirs non formels avec d’autres savoirs ou concepts plus scolaires ou issus du monde non numérique (ex : la critique littéraire dans son histoire vs les booktubes)

Les outils changent très vite chez les adolescents. Dès lors il ne s’agit pas de leur transmettre nos savoirs, qui sont déjà décalés par rapport aux pratiques adolescentes. Cette attitude permet de transmettre des savoirs y compris sur des outils qui n’ont pas encore intégré les programmes : Google à l’époque où l’école n’en parlait pas, Wikipedia par la suite, et aujourd’hui Youtube. Il faut accepter que les élèves viennent avec leurs pratiques et prendre du recul avec eux. Cela ne peut pas être nous qui disons quoi faire. Ils viennent avec leurs pratiques et nous apportons les clés par rapport à nos grilles de lecture. Le but, c’est de les amener à réfléchir à leurs pratiques et à leur impact sur les autres.

Cette culture du web n’appartient pas aux savoirs scolaires habituels : comment vous semble-t-elle pouvoir être intégrée au travail de l’enseignant.e ?

Le web redéfinit actuellement le rapport social à la diffusion d’informations et au savoir. De nouveaux systèmes de validation de l’information naissent, de nouvelles formes d’autorité émergent. Cette question de l’accès au savoir intéresse l’école au plus haut point : pour la culture imprimée (livre, presse), l’école a investi le champ d’étude et d’analyse. Elle doit aujourd’hui faire la même chose pour la culture qui se construit sur et via le web, sinon le risque est de laisser s’installer de nouvelles formes d’illettrisme.

L’EMI et le CRCN (via PIX) doit être pris à bras le corps par l’ensemble de l’établissement.

Qu’est ce que cela voudrait dire de travailler sur YouTube ?

Par exemple partir de questions comme « pourquoi YouTube a du succès » en comparant des chaines avec leurs sites correspondants. Ou encore : à qui appartient YouTube ? à qui appartiennent les chaines ? Aller jusqu’à la production de vidéos, par exemple des vidéos correspondant à des stages : on apprend en faisant. Ou encore en 1h une intervention express autour de la question : YouTube est il un réseau social ? Ou bien : comment faire de la vulgarisation scientifique au travers d’une chaine existante ?

Un autre exemple : des élèves arrivent en disant qu’ils veulent être YouTubeurs. Le travail conduit alors à l’analyse et la réalisation de vidéos sur YouTube. On peut rattacher avec ce qui existait avant : il existait des critiques avant : quelles continuités/ quelles ruptures ? comment se transmet une certaine culture ; comme celle des chroniqueurs et humoristes ? Les élèves n’ont pas connaissance des ponts que nous avons vécus dans notre histoire.

Comment impliquer d’autres collègues dans de telles démarches ?

C’est fondamental. En 2012 on s’est rendu compte que l’on ne pouvait rester seul dans sa classe, on a monté un groupe informel "pédagolab" réunissant plusieurs collègues autour du numérique, puis en élargissant aux autres questions pédagogiques. Oon s’est un peu essoufflé parce que c’était assez prenant (sur la plage midi- 14 h). On a donc fait un Edumix le temps de 2 journées pour remixer le collège avec des participations variées - cela a redonné une dynamique qui court encore 2 ans après.

Des séances se déroulent dans le CDI - les gens viennent ... et repartent sans modifier leurs pratiques - une collègue a fait une classe spécifique et les autres collègues réinvestissent – mais l’infusion est lente. La prof-doc peut construire des synthèses - des carnets de bord - cela donne à voir tout ce qui a été fait dans l’année, ce qui impressionne les collègues qui font et inspirent les autres.

Comment voyez-vous le possible affrontement entre la culture horizontale des communs et celle, verticale, de l’Éducation nationale ?

Il faut prendre conscience des marges de manœuvre et les utiliser. Est-ce qu’une part de la difficulté ne vient pas de notre propre difficulté à imaginer, inventer les choses autrement ? On est toutes les deux formatrices et on centre nos formations sur la question : comment faire pour faire bouger les pratiques ? Les freins sont personnels : attention à ce que les freins présumés de l’institution ne soient pas des excuses pour ne rien faire. Regardons nos propres moyens d’agir - faisons et regardons ce qui bloque.

Quelles sont les ressources mises en communs ?

Il ne suffit pas que les ressources soient libres pour qu’elles soient utilisées - il faut les faire vivre. Une ressource qui n’est pas utilisée n’est pas intéressante. Rester centré sur la ressource fait passer au coté de l’essentiel. Il ne s’agit pas simplement de réutiliser une ressource, mais de l’enrichir pour un public. Dans une communauté qui la partage, la fait vivre, la ressource devient alors un commun. Si c’est trop bien rangé, on ne le trouve pas ou on n’ose pas l’approcher. Il faut une appropriation collective des ressources et du lieu pour une appropriation citoyenne. D’où la nécessité de mettre en place des réseaux d’échanges réciproques de savoirs. D’autant qu’il est difficile pour certains élèves de se sentir en capacité de transmettre un savoir : c’est la responsabilité de l’École que de leur donner ce pouvoir de participer.

Derrière cette notion de « communs », il y a comme un projet de société : pouvez-vous nous éclairer sur les enjeux citoyens, politiques même, de vos réflexions et invitations ?

La démocratie c’est une participation citoyenne de chacun. On apprend aussi aux élèves à avoir cette curiosité intellectuelle et à participer à des projets pour que la société évolue. Il ya des choses qui bougent dans la société : des formes participatives, des tiers lieux… L’idée est d’accompagner cela et de permettre aux élèves de s’y impliquer, et peut être un jour d’inventer leurs propres dispositifs ?

Prolongements :

Sur le site de l’éditeur

L’ouvrage "Libres savoirs"

MATRICEpour uneÉducation aux médias et à l’information

Exemple d’EDUMIX au collège Saint Jean-Apprentis d’Auteuil :

Mouvement français des Réseaux d’Échanges Réciproques de Savoirs

Entretien sur le site des Profs-docs de l’académie de Toulouse

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