Accueil > Réflexions > La continuité pédagogique, oui, mais comment et pour qui ?

La continuité pédagogique, oui, mais comment et pour qui ?

La continuité pédagogique oui mais comment et pour qui ?

Je suis alliée à ATD Quart monde Brest, je co-anime un atelier lirecrire numérique (le mouvement regroupe des militants : personnes vivant ou ayant vécu la grande pauvreté, des alliés : personnes s’engageant à porter le combat contre la misère au quotidien au sein de leur milieu social et des volontaires permanents) ; j’ai été enseignante en SEGPA et j’ai terminé ma carrière par 15 années en classe relais (Dispositif pour des collégiens en voie de marginalisation scolaire ou en décrochage avéré).

Quelques difficultés vécues au quotidien

Les écoles sont fermées … Dès la première semaine de confinement, des enseignants se mobilisent pour assurer la continuité pédagogique auprès de leurs élèves. Rapidement on sent que le stress monte dans les familles devant la masse de travail qui arrive dès les premiers jours, du moins pour celles qui ont un accès internet avec le matériel qui va bien.

Des élèves reçoivent des fichiers en .pdf qu’il faut imprimer pour « faire des exercices », et s’il n’ y a pas d’imprimante ou pas d’encre, il est suggéré parfois à l’élève de recopier tout le document. Des parents s’organisent et demandent à des personnes de leur entourage d’imprimer les documents et puis de les expédier par la Poste. Ensuite il faut transférer le travail fait à l’enseignant, comment ? Le numériser, l’expédier par la poste … (Un service postal devrait être prochainement mis en place pour permettre aux enseignants de télécharger les fichiers sur un cloud, charge à la poste d’imprimer et d’expédier.)

Une telle demande pour un collégien c’est pour une matière, mais dans une journée il y a peut-être 5 cours différents, car on conseille à l’élève de suivre son emploi du temps. Les documents à faire s’entassent, ce n’est plus possible de suivre. De plus une fois les documents arrivés, l’élève se retrouve seul face à des consignes qu’il ne comprend peut-être pas, le parent appelé au secours peut aussi être aussi démuni que son enfant. Face à une telle situation le parent culpabilise, se sent « mauvais parent », il se sent dévalorisé devant son enfant, le passé pour certains remonte car pour eux l’expérience scolaire a pu être douloureuse.

Certains élèves ont aussi reçu des contrôles à faire à horaire précis en un temps donné et sans consulter leurs cours, comment faire quand il n’y a qu’un ordinateur entre plusieurs enfants ? Des disputes éclatent devant le seul moyen numérique présent à la maison. Des lycéens, qui tentent de suivre un cours à distance audio/vidéo dans leur cuisine, entourés de leurs frères et sœurs ne peuvent se concentrer, ou même intervenir, faute de micro et de matériel adapté. Et si le travail n’est pas fait pour divers motifs, parfois la sanction tombe : 0 pour travail non rendu.

Des familles ne réussissent pas à se connecter sur l’espace de travail de l’école, erreur de mot de passe, et des parents n’osent pas contacter l’école. Des parents qui pourtant ont des compétences pour se connecter sur un espace numérique perdent complètement leurs moyens face à la demande de l’école, par peur de mal faire.

D’autres parents finissent par contacter les écoles, se rendant compte de l’impossibilité d’aider leurs enfants, avec leur téléphone portable comme seul moyen de communication et de lecture.

Des établissements secondaires ouvrent de nouveaux moyens de communication, d’autres ne changent pas leurs habitudes et les élèves ne peuvent faire part directement de leurs difficultés à leurs enseignants (ouverture des discussions profs/élèves sur Pronote par exemple).

Des fichiers très lourds sont transmis aux élèves et les forfaits, pour ceux qui n’ont que le téléphone pour récupérer les documents visionner les vidéos …, explosent avec des conséquences financières.

Certains jeunes se regroupent malgré les consignes de confinement pour bénéficer du wifi d’un équipement collectif ou du piratage d’une box …

Des transmissions de documents papier de main à main s’organisent mais contribuent à la propagation du virus.

Ces situations sont des situations vécues par des familles du mouvement ATD Quart monde qui nous sont proches. Il y a aussi des retours positifs, une maman qui a reçu un message sur son téléphone avec une histoire enregistrée par la maîtresse, l’enfant était tout content d’entendre la maîtresse. Une autre a reçu un courriel avec des propos bienveillants, la maîtresse demandant si A. se portait bien et espérant que tout se passe au mieux dans la famille.

D’autres enseignant.es tentent de trouver des solutions de prêt matériel. Certain.es ont déjà consommé tout leur forfait de téléphone pour joindre une à une les familles. Des voisins appellent l’école, inquiets de la sécurité de certains enfants, enfermés pour certains avec un parent violent depuis des jours.

La situation actuelle ne fait que révéler la réalité, elle n’en est pas la cause. L’école est inégalitaire.

On ne va pas dans ce moment d’urgence tout changer, par contre une fois la crise derrière nous, réinterrogeons nos pratiques et de là sortira j’espère une école pour toutes et tous.

Que faire comment faire aujourd’hui ?

Tous les élèves n’ont pas accès au numérique, même si sur Brest l’action Internet Habitat social a été développée sur plusieurs quartiers.

Equiper les familles de tablettes prêtées par l’école peux être une solution pour certaines familles : un seul ordinateur entre plusieurs personnes, forfait avec connexion illimitée.

Le mouvement ATD Quart monde a lancé un appel pour que les opérateurs proposent des cartes pré-payées illimitées jusqu’à la fin du confinement, le déblocage gratuit des forfaits bloqués pour maintenir le lien, un accès internet d’au moins 10 Go pour tous afin de permettre le travail scolaire à distance, le suivi administratif et l’accès à la culture.

La première étape est de créer un lien avec chaque élève avant de penser le garder.

La télévision est présente dans quasiment toutes les familles. Dès la 2e semaine de confinement des émissions éducatives dans le cadre de la « Nation apprenante » sont proposées. Serait-il possible de développer davantage cette initiative et d’enrichir les contenus ?

Les télévisions locales pourraient aussi contribuer. On peut imaginer par exemple des rendez-vous sur des créneaux bien définis pour les élèves de telle école et qui seraient communiqués aux parents via le téléphone le courriel … Sur ces créneaux la TV locale organise des interviews par Skype avec des enseignants. Les enseignants s’adressent à leurs élèves cela peut par exemple être l’occasion de raconter une histoire, ou de souhaiter les anniversaires ou … tout est à imaginer.

Vendredi … avril : RV école ….

Proposer des travaux aux élèves en ayant en tête ce qui est à la disposition de tout élève. Et si on pense aux familles les plus démunies ou aux élèves les plus en difficulté tous les élèves en profiteront, car le stress généré par la continuité pédagogique semble être partagé dans tous milieux ou presque ; des enfants de milieux privilégiés n’ont probablement pas besoin de l’accompagnement des enseignants.

Partir de l’existant, proposer des travaux que les parents pourraient partager avec leurs enfants contribuerait à la sérénité dans les familles, les parents se sentiraient « valorisés » aux yeux de leurs enfants ce qui est très important pour la réussite d’un enfant et ainsi on pourrait parler de réelle co-éducation.

Si de telles activités sont proposées par l’école, cela donne à ces activités une importance et une valeur pédagogique. Dans la proposition d’une activité les compétences visées pourraient être listées ainsi que le matériel nécessaire, les consignes seraient à rédiger de manière synthétique et aisée à comprendre. Ces propositions pourraient être communiquées via un message téléphonique pour par courriel ou texto et/ou sur l’espace numérique de travail...

Aux enseignants connaissant leurs élèves et les familles de créer des activités qui ne demandent aucun matériel spécifique. Une mutualisation de telles activités pourraient être envisagée.

En projet un article co-écrit par des enseignant.es de 1er degré répertoriant des propositions d’activités réalisables et accessibles sans matériel spécifique.

Avant de repenser l’école, on relève le défi qui nous est lancé là tout de suite : ne laisser aucun enfant sans école.

À la une